Basées dans les Hautes-Alpes, les Pépinières Robin ont réussi la première production contrôlée de Truffe blanche en dehors de la zone de répartition naturelle du champignon.
Tuber magnatum : ce seul nom fait saliver les connaisseurs. Il désigne la Truffe blanche du Piémont ou Truffe blanche d’Italie, à la saveur subtilement aillée, réputée la plus rare et la plus chère. De couleur beige à jaune ocre, lisse, Tuber magnatum est restée très difficile à cultiver, compte tenu de ses exigences écologiques particulières, notamment d’un point de vue hygrométrique. Elle requiert en effet un substrat plus humide que les autres espèces de truffes. En symbiose avec le Chêne pubescent, le Saule ou encore le Peuplier, la Truffe blanche fructifie entre fin octobre et décembre, si l’automne est suffisamment arrosé – mais pas trop non plus. Son aire de répartition est relativement restreinte : elle s’étend du nord et du centre-est de l’Italie puis, dans la péninsule des Balkans, de la Roumanie jusqu’au nord de la Grèce.
La Truffe blanche s’est fait attendre
Concernant les Truffes en général, la technique des plants mycorhizés a été mise au point pour la première fois en Italie. C’est cependant à l’Inra de Clermont-Ferrand à partir de 1972 que cette innovation a été optimisée et développée à grande échelle. Et si les cultures de la Truffe du Périgord (Tuber melanosporum), de la Truffe d’été (Tuber aestivum) et de la Truffe de Bourgogne (Tuber aestivum var. uncinatum) ont pu ainsi connaître un véritable essor commercial (la filière française produit quelque trente tonnes chaque année), Tuber magnatum n’avait jusqu’ici jamais réussi sa transplantation, en production contrôlée, au-delà de sa terre d’origine.
La réussite d’un partenariat public-privé
Leaders européens de la mycorhization contrôlée, les Pépinières Robin s’intéressent à ce joyau gastronomique depuis 1999. En partenariat avec l’Inrae (fusion de l’Inra et de l’Irstea), l’entreprise a démarré ses recherches au fond de son laboratoire de Saint-Laurent-de-Cros, dans le Champsaur. Après l’obtention en 2003 des premiers plants mycorhizés, il a fallu attendre encore neuf ans pour voir démarrer des plantations truffières à fin de production. Et c’est en Nouvelle-Aquitaine, à plus de huit cents kilomètres de sa terre d’origine, que la première Truffe blanche a été récoltée, en 2019. Sept ans pour récolter trois spécimens, puis quatre autres l’automne suivant. « Ce succès ouvre la voie au développement de la culture de cette truffe en France et ailleurs dans le monde », se réjouit Bruno Robin, dirigeant des Pépinières Robin. Le président de l’Inrae Philippe Mauguin voit dans cette réussite « celle d’un partenariat public-privé de quarante ans » et « l’équilibre entre recherche scientifique et transfert vers l’économie ».
Patience sous la terre
Le secrétaire d’État chargé de la ruralité Joël Giraud salue lui-même cette avancée majeure : « Cela prouve que la ruralité sait innover », pointe-t-il, en espérant que la Truffe blanche assure « des débouchés à très forte valeur ajoutée pour l’agriculture ». La truffe française représente près de 50 000 emplois directs et indirects. Estimés entre 10 et 15 000 en France, les trufficulteurs devront toutefois s’armer de patience et redoubler d’efforts avant de tirer profit de la « Truffe des seigneurs ». Des conditions pédoclimatiques particulières détermineront la réussite du projet agricole. Selon Claude Murat, ingénieur de l’Inrae, la texture du sol doit respecter un mix de 40 % de limon, 40 % de sable et 20 % d’argile, en zone calcaire, avec un pH compris entre 7,5 et 8,2. « La température du sol ne doit pas dépasser 20 à 25 °C l’été, ce qui correspond à des milieux de fonds de vallée et des secteurs ombragés », indique-t-il. « Les gestes d’entretien des sols et des arbres sont semblables aux pratiques concernant les autres truffes » a par ailleurs précisé Bruno Robin.
Une demande qui va s’accélérer
Les Pépinières Robin ont écoulé l’an passé près de 2000 plants de Chênes mycorhizés avec Tuber magnatum, et déjà 2500 depuis le début de l’année 2021. À des trufficulteurs français mais aussi européens : « Le Royaume-Uni est une terre d’élection pour la truffe, en particulier Tuber melanosporum au Pays de Galles ! Il y a là-bas un bon potentiel pour Tuber magnatum aussi », affirme Bruno Robin. La demande devrait s’accélérer fortement dans les prochains mois, compte tenu d’un contexte porteur : « La culture de la truffe accompagne la transition agro-écologique des territoires. Elle correspond aussi à un besoin de consommer en circuit court et favorise l’attractivité touristique », confirme Philippe Mauguin. Seul le coût des plants mycorhizés avec Tuber magnatum pourrait freiner certains élans : à partir d’une centaine d’euros, sept fois plus élevé que le plant mycorhizé avec la Truffe noire. « Ce coût intègre nos années d’investissement en R&D. Il est aussi justifié par le double contrôle effectué sur chaque plant, avec la loupe binoculaire sur les racines pour vérifier le démarrage de la mycorhization puis plus tard avec la biologie moléculaire pour certifier l’ADN de Tuber magnatum. » Pour le Président de l’Inrae Philippe Mauguin, la Truffe blanche est promise à un bel avenir : « Les moments de doute sont à dépasser : les amoureux de la truffe et les agriculteurs seront au rendez-vous. Et vivement la sortie de crise sanitaire pour aller déguster ces merveilleux produits ! »