Couleurs du Trièves

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La douceur cuivrée de l'accueil des Hêtres.

Ce matin d’octobre 2020, cap au sud du département de l’Isère. L’automne du Trièves est à son comble de dorures. Sur les pentes calcaires, un patchwork arboré de jaunes et d’orange va attiser nos frissons mycologiques. Et ils seront nombreux !

À 800 mètres d’altitude, le chemin s’élève assez raide dans une forêt de hêtres. Dès la lisière, des casques blancs et visqueux émergent de la litière des feuilles fraîchement tombées. Leur odeur spéciale, chimique nuancée d’agrume, met la puce à l’oreille : c’est Hygrophorus discoxanthus, que l’âge n’a pas encore fait jaunir. Il sera le champignon le plus fréquent ici,  s’avançant en grandes troupes sur les replats.

Hygrophorus discoxanthus : l’Hygrophore à disque jaune est l’un des champignons les plus abondants ce jour-là. (photo GEASTER)

Rapidement au fur et à mesure que les pins se joignent au cortège forestier, une autre espèce d’Hygrophore apparaît. Plus visqueuse encore, mais au chapeau chamois, et de plus grande taille : l’Hygrophore limace (Hygrophorus latitabundus), à l’odeur moins prononcée. J’avais déjà découvert celui-ci dans le Vercors voisin il y a quelques années et l’avais même goûté. Comestible moyen, à condition de le peler, il constitue pour les Catalans un mets de choix. Ah ! la géographie des papilles…

L’Hygrophore limace (Hygrophorus latitabundus), diversement apprécié d’une région à l’autre. (photo GEASTER)

Les cortinaires entrent en scène

A l’amorce d’un virage, une grande lépiote fait la sentinelle, dressée sur son coussin de mousse. Anneau simple et pied peu chiné : j’en ferai une Macrolepiota mastoidea, champignon au polymorphisme parfois déroutant.

La Lépiote mamelonée (Macrolepiota mastoidea) tente de se hisser à la hauteur des Hêtres autour d’elle. (photo GEASTER)

Quelques jolis Cortinaires à pied bulbeux entrent aussi en scène, dans les tons jaunes ou brun orangé vif. Chapeaux légèrement visqueux, pied sec : la plupart font partie du sous-genre Phlegmacium, qui renferme nombre d’espèces particulièrement décoratives, pas toujours simples à nommer. L’un d’entre eux, Cortinarius orichalceus, surprend par ses teintes chaudes.

Le Cortinaire cuivré (Cortinarius orichalceus), à la cortine abondante, est l’un des plus beaux de nos Cortinaires alpestres. (photo GEASTER)

Délaissant le chemin caillouteux, je poursuis la montée dans un couloir forestier où les arbres s’espacent et font passer davantage de lumière. La flamme rouge-orangé des Hygrocybes apparaît dans les zones herbeuses. Chapeau au mamelon aigu, pied concolore, lames jaunes et faible noircissement de la chair, nous sommes ici dans le groupe des Hygrocybe pseudoconica. Ils poussent juste à côté de petits Entolomes à la silhouette grêle (dite « collybioïde »), d’un bleu nuit élégant. Lames gris-rose unies, c’est peut-être Entoloma caeruleum. Quelques « petits-gris » (Tricholoma terreum) font aussi partie du décor, jamais loin des Pins.  

Des veines multiples de Pieds de mouton blancs (Hydnum albidum) s’entrecroisent dans les sous-bois de buis. (photo GEASTER)

Frissons aussi pour le panier

Le secteur s’embroussaille de Buis et de Genévriers. Des pavés d’un blanc crayeux se succèdent devant moi. Ils dessinent de larges cercles qui s’entrecroisent. Vertige pour le mycophage : des quantités phénoménales de Pieds-de-Mouton blancs (Hydnum albidum) refont la topographie des lieux. Et là ! Et là-bas encore ! Je ne cueillerai qu’un demi-panier de ces champignons savoureux, reconnaissables aussi à leurs aiguillons saumonés assez courts. Plus doux que l’espèce-type, au léger parfum de poire souvent, ils deviennent aussi plus amers en vieillissant. Tous ceux-là sont de première fraîcheur et les personnes qui passeront après moi en auront pour leur content.

Nous réserverons l’autre moitié du panier à un champignon qui pousse tout près de là : les Trompettes chanterelles jaunissantes (Craterellus lutescens) commencent aussi à étendre leurs tapis dans la mousse éclairée par un pâle soleil.

Boletopsis grisea : à la jonction des Bolets et des Polypores. Une espèce peu courante. (photo GEASTER)

Concours d’odeurs

Je rejoins maintenant la zone d’une ancienne coupe forestière. De lourds branchages de Pins et de Sapins jonchent le sol. J’ai du mal à discerner ici de gros chapeaux brun-gris agglomérés, à moitié cachés sous les débris ligneux. Je crois d’abord avoir affaire à des Bolets, mais en le retournant apparaissent des petits pores gris, aux tubes courts non détachables du chapeau. Une littérature adaptée m’apprendra qu’il s’agit de Boletopsis grisea, un polypore terrestre stipité, assez rare. Non loin de là, Tricholomes orangés (Tricholoma aurantium) et Hébélomes Belle-Hélène, dits aussi « Tante-à-Nanon » (Hebeloma laterinum), font un concours de fragrances : le premier sent le concombre, l’autre la poire Belle-Hélène !

Un goût de revenez-y

Au fil de mes pas, je constate la diversité énorme de la fonge locale : ce substrat calcaire, tantôt sec et caillouteux, tantôt plus hygrophile, convient à un éventail d’espèces d’autant plus large que derrière le premier rideau de Hêtres, les essences arboricoles sont variées : Pins sylvestres, Epicéas, Sapins pectinés, Chênes sessiles… À la redescente par un chemin encaissé, je noterai encore bien des champignons : Phellodon niger, diverses Russules et bien d’autres Cortinaires, tout aussi chatoyants. A coup sûr, nous reviendrons ce prochain automne étudier plus longuement cette belle cohorte.

Sûr que Champignon magazine reviendra fouler ces glorieux chemins ! (photo GEASTER)