L’Hygrophore de mars

2019
L'Hygrophore de mars, un trésor bien gardé. ©GEASTER
L'Hygrophore de mars, un trésor bien gardé. ©GEASTER

Trésor secret de la gastronomie mycologique, l’Hygrophore de mars est le premier champignon d’excellence de la saison. Apprenez à le découvrir… et à le respecter!

Il a beau savoir bomber le torse à maturité, l’Hygrophore de mars (Hygrophorus marzuolus) n’en reste pas moins un champignon discret. La couleur gris ardoisé de son chapeau convexe et son pied longtemps court lui donnent l’apparence d’un vulgaire caillou affleurant à peine à la surface du sol. C’est donc un champignon qui appelle la patience et le sens de l’observation ! Le cueilleur sera toutefois aidé dans sa quête par la gourmandise de quelque rongeur ou d’un cervidé : sa chair juteuse et parfumée est en effet très convoitée par les mammifères qui trouvent grâce à lui une ressource alimentaire précieuse au bout des fatigues de l’hiver. Ces animaux auront tôt fait, dans leur festin empressé, d’éparpiller quelques miettes blanches sur la nappe de mousse. Vous connaissez l’histoire du Petit Poucet…

L'Hygrophore de mars annonce le vrai redémarrage de la saison des champignons.
L’Hygrophore de mars annonce le vrai redémarrage de la saison des champignons. ©GEASTER

Un champignon qui raffole des hivers neigeux

Le Marzuolus, comme on le surnomme ici ou là, est un champignon de la famille des Hygrophores. Une belle et grande famille, qui ne compte, fait rare en mycologie, aucune espèce toxique parmi ses membres. On les reconnaît à leurs lames épaisses et espacées, d’aspect cireux et pâles, plus ou moins nettement décurrentes et produisant une sporée blanche.

L’Hygrophore de mars constitue l’un des plus éminents membres de la tribu, pouvant atteindre des dimensions fort respectables : on a déjà trouvé des spécimens avec un chapeau de plus de 13 centimètres de diamètre et d’un pied d’une longueur équivalente. Ce pied, justement, nacré, grisonne avec l’âge et peut même s’orner de surprenantes chinures gris foncé lorsque le printemps prête longue vie à l’exemplaire béni. Mais ce sont des champignons fragiles, qui supportent mal les surplus d’eau ou de chaleur précoce : vous trouverez souvent des « nids » avortés recouverts de moisi si les conditions météo ne lui conviennent pas. Il y a d’ailleurs des années « sans » : des printemps brutalement trop chauds après des hivers glacés mais secs priveront les mycéliums de tout élan fructifère. Inversement, il nous a surpris en surgissant parfois dès Noël (comme en 2015, en Chartreuse), grâce à la combinaison d’un mois de novembre très enneigé et des semaines douces et humides en décembre. Les chutes de neige tardives ne lui font pas peur : il triomphe des hivers blancs en poursuivant sa croissance sous les névés ! Privé de lumière solaire, il peut alors arborer une robe totalement blanche, tout comme lorsqu’il pousse longtemps enterré. Un discret, on vous dit !

L'Hygrophore de mars forme souvent des nids compacts bien cachés sous la mousse. ©GEASTER
L’Hygrophore de mars forme souvent des nids compacts bien cachés sous la mousse. ©GEASTER

Présent dans la plupart de nos massifs

L’Hygrophore de mars connaît aussi une distribution inégale sur notre territoire. Il a ses exigences ! Vous le trouverez dans les principaux massifs montagneux et parfois sur leurs piémonts dès 300 mètres d’altitude, sur terrain plutôt argilo-calcaire, soit du calcium avec une petite pointe d’acidité. Comme son nom l’indique, il « porte l’humidité » : il peut par exemple abonder autour d’un marais forestier, sous les branchages au sol qui retiennent la neige, les ronciers rampants (Vercors) qui agissent comme du paillage, entre les racines apparentes des vieux arbres ou encore dans les petites dépressions remplies de feuilles (Chartreuse). Les bords des chemins où l’argile affleure lui plaisent aussi. Il est peu probable de le trouver sur les mêmes places que les Morilles, qui préfèrent un pH plus élevé. Il nous est arrivé à deux reprises de le trouver côte à côte avec quelques Morilles empourprées (Morchella purpurascens), plus fréquemment avec les Gyromitres (Gyromitra sp).

Mycorhizien comme toutes les espèces de son genre, l’Hygrophore de mars entretient des relations amicales avec différentes essences d’arbres. Pas forcément les mêmes d’un région à l’autre ! Ainsi, au Pays basque, il préfèrera la compagnie des pins sylvestres, alors que dans le Jura et les Alpes, vous le verrez copain comme cochon avec le Sapin. Mais ce qu’il préfère, ce sont les forêts mêlées : si en plus des conifères, le hêtre s’en mêle, alors, il s’égaille en jolies farandoles; moins fréquemment avec le chêne (au pied des Pyrénées), voire le châtaignier (comme en Corrèze, ainsi qu’en Savoie). S’il peut se hisser jusqu’à la limite supérieure des arbres (environ 1800 mètres en versant nord des Alpes), c’est entre 600 et 1400 mètres qu’il prend toutes ses aises, avec une très nette préférence pour les forêts anciennes et peu entretenues.

Vu de dessous, l’Hygrophore de mars révèle des lames de toute beauté. @GEASTER

Menacé par le rajeunissement des forêts

L’Hygrophore de mars constitue un mets généralement apprécié (on connaît quelques rares réfractaires à sa consistance ou à son fumet). D’abord parce qu’à son époque d’apparition, les Morilles sont encore rares ou peu développées. Faute de grive… Mais préparé jeune et bien frais, il peut se révéler tout à fait excellent. Sa chair réclame une longue cuisson, pour faire rendre l’eau dont il est gorgé. Elle exhale une saveur complexe et sucrée, pouvant rappeler l’Agaric champêtre (Agaricus campestris), avec une surprenante composante de rose froissée. Nul besoin d’épices ou d’aromates : ce champignon se suffit à lui-même, avec un peu de beurre ou de crème, une pincée de sel, du poivre du moulin. Sa chair assez croquante lorsqu’il est consommé jeune fera sensation en garniture d’un poulet. S’il ne supporte pas la déshydratation, l’Hygrophore de mars peut se conserver dans le congélateur. Mais pas besoin de s’acharner à grands renforts de paniers : soyez responsable, préservez l’espèce. Elle tend en effet à disparaître par places, surtout à cause du rajeunissement des forêts (plusieurs destructions d’habitats recensées dans le massif de Belledonne) et des aménagements touristiques (Chartreuse, Bauges). Sa raréfaction serait plus rapide encore dans le Massif central (Loire) et dans les Vosges.

L’Hygrophore de mars ne peut guère être confondu qu’avec d’autres espèces d’Hygrophores… qui ne poussent qu’en automne : l’Hygrophore des chèvres (Hygrophorus camarophyllus), très ressemblant avec une chair plus élastique, médiocre, ou l’Hygrophore noirâtre (Hygrophorus atramentosus), trop rare pour qu’on évoque même sa comestibilité éventuelle. Les moins aguerris se méprendront peut-être avec un Mélanoleuque familier (Melanoleuca cognata), de stature assez similaire mais à la robe baie et aux lames serrées, pâles rapidement cannelle. Ils ne risquent aucun empoisonnement, juste une petite grimace.

L’Hygrophore de mars, quasiment invisible dans la litière des forêts. ©GEASTER

Carte d’identité

Hygrophorus marzuolus ((Fr.:Fr.)Bresadola)
Noms vernaculaires : Hygrophore de mars, Marzuolus, Marzolus, Marzu, Charbonnier de printemps

Classe : Agaricomycètes

Ordre : Agaricales

Famille : Hygrophoraceae

Chapeau : d’abord blanc puis vite gris plomb, souvent à reflets bruns, enfin marbré de noir ou carrément charbonneux. Hémisphérique puis convexe, enfin plan voire légèrement concave. Souvent bosselé. Cuticule un peu visqueuse ou grasse par temps humide, fibrilleuse. Marge enroulée au début, mince et sinueuse, plus claire. Diamètre : 3-10 (13) cm.

Lames : blanches, puis grisâtres, rosissant quand le champignon commence à pourrir. D’abord épaisses et espacées, arquées, puis s’amincissant et un peu ondulées à la fin, subadnées à décurrentes. Souvent anastomosées vers le bord. Présence de lamellules.

Pied : blanc, fibrilleux, vite grisonnant. Cylindrique, souvent un peu incurvé aux deux tiers, à base atténuée. Longueur : 3-8 cm.

Chair : blanche, fibreuse, humide, fragile. Odeur de rose fanée (rappelant l’amanite phalloïde !), saveur douce à fruitée, s’affadissant avec l’âge et alors vite véreuse.

Spores : 5,5-7,5 x 4-5,5 µm, lisses, en forme d’ellipse. Sporée blanc vitreux.