Un serial killer nommé Pleurote

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Les Pleurotes en huître peuvent former des touffes denses sur les feuillus morts. ©GEASTER

Cultivé de manière industrielle, le Pleurote en huître (Pleurotus ostreatus) est un champignon régulièrement servi dans les restaurants. Sous sa délicieuse saveur, il cache un comportement de serial killer : il fabrique en effet une toxine pour tuer de minuscules vers ronds appelés Nématodes. Vous ne mangerez peut-être plus les Pleurotes comme avant !

L’hiver est la saison des Pleurotes en huître. Si l’automne a été pluvieux et tant qu’il ne fait pas trop froid, ces champignons peuvent surgir en colonies nombreuses sur les troncs couchés ou mourants des arbres feuillus, notamment des chênes, des hêtres et des peupliers. Les Pleurotes sont aussi bien saprophytes que parasites, c’est-à-dire qu’ils se nourrissent de la matière végétale en décomposition, tout en étant capables d’achever un arbre affaibli en se développant sur une blessure.

Une guerre chimique

On sait moins que les Pleurotes sont aussi carnivores ! Plusieurs études ont été menées depuis les années 1960 pour mettre en évidence les relations de prédation de certaines familles de champignons sur les vers Nématodes, les animaux les plus abondants du sol. La stratégie des Pleurotes est documentée depuis une trentaine d’années et fait régulièrement l’objet d’apports nouveaux. Une étude publiée en 2023 révèle que les Pleurotes fabriquent une cétone volatile, l’octénol, concentré à fortes doses dans des petites structures en forme de sucettes, appelées toxocystes, présentes sur les filaments nourriciers du champignon. Au contact des cils sensoriels de ces vers, les toxocystes libèrent une quantité massive d’octénol, qui entraîne une paralysie rapide (en quelques minutes) du ver puis une perturbation du fonctionnement de ses cellules. Ce dérèglement occasionne un afflux de calcium dans le cytosol (le composant liquide des cellules) et les mitochondries, les « batteries » cellulaires, aboutissant à la mort du Nématode.

D’autres champignons s’en prennent aux Nématodes, en utilisant des techniques différentes. Chez les microscopiques Arthrobotrys, par exemple, les filaments mycéliens développent des sortes de lassos enduits d’une protéine qui va créer une liaison très collante au contact du sucre de l’épiderme des vers. Immobilisés, les animaux sont ensuite vidés de leur substance par les hyphes intrusives du champignon.

Les jeunes Pleurotus ostreatus arborent des couleurs plus sombres, d’où leur nom de « black pearl » en Angleterre. ©GEASTER

Paralysie générale

Les Pleurotes sont d’autant plus « rusées » que l’octénol imite les signaux alimentaires et sexuels des Nématodes : de quoi gagner leur confiance ! D’autres composés structurellement liés à l’octénol sont aussi soupçonnés de participer à la paralysie générale des vers et à leur nécrose cellulaire. Cet acharnement des Pleurotes en huître sur les Nématodes leur permet d’acquérir les nutriments nécessaires à leur survie dans un environnement pauvre en azote. Ce peut être aussi un moyen de défense face à des vers frugivores susceptibles d’endommager le mycélium pour aspirer le cytoplasme. Entre champignons, bactéries et micro-faune, on n’imagine pas toujours la cruauté permanente qui sévit dans le sol ou sous l’écorce d’un arbre !

À noter : l’octénol est présent dans les substances volatiles de nombreuses plantes (la lavande, par exemple) mais aussi dans certains champignons comme le Cèpe des Pins (Boletus pinophilus) et cette cétone pourrait protéger des insectes ravageurs les organismes qui en contiennent. C’est la très forte concentration en octénol, contenue dans des structures spécifiques (les toxocystes), qui confèrent aux Pleurotes en huître toute leur originalité. Les scientifiques proposent d’utiliser le Pleurote en huître comme agent de lutte biologique contre les Nématodes parasites en agriculture. À suivre donc !

Sources : B. Nordbring-Hertz, Nematophagous fungi: Strategies for nematode exploitation and for survival. Microbiol. Sci. 5, 108–116 (1988). T. Irie, Y. Honda, T. Watanabe, M. Kuwahara, Efficient transformation of filamentous fungus Pleurotus ostreatus using single-strand carrier DNA. Appl. Microbiol. Biotechnol. 55, 563–565 (2001). A carnivorous mushroom paralyzes and kills nematodes via a volatile ketone (ScienceAdvances), 2023.

Les Pleurotes sont caractérisés par des lames longuement décurrentes sur un court pied latéral. ©GEASTER

Carte d’identité du Pleurote en huître

Nom : Pleurotus ostreatus (Jacquin) P. Kummer (1871)

Classe : Agaricomycètes

Ordre : Agaricales

Famille : Pleurotaceae

Chapeau : gris très foncé dans la jeunesse (d’où son nom de « black pearl » en anglais), gris brun ensuite, chamois plus ou moins clair, de 4 à 20 cm de diamètre. Lisse et brillant en général, mais parfois gercé ou crevassé en cas de sécheresse ou avec l’âge. Marge souvent striée

Lames : moyennement serrées, crème puis jaunissantes avec l’âge, fortement décurrentes sur le pied duquel elles rayonnent. L’arête tend à se colorer de gris par les spores

Pied : latéral, assez court (1-4cm), fibreux et couvert d’un duvet dans sa partie inférieure, laquelle est souvent coriace

Chair : blanche, odeur fongique ou légèrement anisée, saveur croquante de noisette

Sporée : grisâtre, spores elliptiques, 7-10 x 3-4 micromètres

Les Pleurotes ont donné leur nom à une silhouette descriptive de champignon, la forme pleurotoïde, caractérisée par un chapeau creusé vers l’insertion du pied, un pied latéral et des lames fortement décurrentes