Vous avez dit Polypores ?

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Le Phellin du tremble (Phellinus tremulae), observé ici en Chartreuse (Isère), est un champignon pathogène pour son hôte. (photo GEASTER)

L’hiver, quand la Nature se fige, les champignons semblent avoir disparu. C’est pourtant la saison idéale pour découvrir les Polypores, ces drôles de champignons qui tirent leur langue coriace sur les troncs des arbres fatigués. Méconnus, les Polypores font l’objet d’un livre très complet, rédigé par Bernard Rivoire. Le mycologue nous propose de les (re)découvrir.

Une balade en forêt en scrutant attentivement les troncs et les branches garantit toute l’année de belles surprises. Spécialement l’hiver quand les arbres se mettent à nu : il devient plus facile d’observer ces étranges champignons qui résistent souvent à la saison froide. Les Polypores forment une grande famille puisqu’on en dénombre plus de 400 espèces en Europe. À elle seule, la France héberge 85 % d’entre elles. Comment reconnaît-on un Polypore ? Ce sont des champignons rapidement coriaces, lignicoles, réunis par un caractère imparable : leur hyménium est à l’intérieur de tubes très serrés inséparables du chapeau. À l’image du fameux Amadouvier (Fomes fomentarius), le plus commun d’entre eux. Reconnaissable à sa console grise en forme de sabot, il a joué un rôle considérable dans le développement de l’humanité, puisqu’il fut utilisé dès la Préhistoire pour allumer le feu.

Amadouvier
Connu depuis la Préhistoire, l’Amadouvier (Fomes fomentarius) est l’un des Polypores les plus fréquents.
C’est aussi un champignon pérenne, qui continue de croître d’une année à l’autre. (photo GEASTER)

Décomposeurs du bois mort

Au-delà des innombrables propriétés qu’ils recèlent, les Polypores sont d’abord d’une immense utilité pour la forêt : sans eux et leur goût immodéré pour la cellulose voire la lignine, nos paysages seraient totalement encombrés de vieilles souches et d’amas de troncs couchés. « Leur rôle en tant que décomposeurs actifs de bois mort est encore trop souvent négligé », confirme Bernard Rivoire. Cet amoureux des Polypores les étudie depuis quarante ans. « Ils m’ont ouvert au monde de la forêt et à la compréhension de cet écosystème fragile. » Patiemment, il a rédigé des fiches pour chaque espèce, à partir de ses propres observations. « On m’a aussi fait parvenir des échantillons, de toute l’Europe, pour compléter mes données. » Le livre qu’il a fait paraître au printemps 2020 constitue la somme, impressionnante, de ces travaux : près de 900 pages d’une densité d’information exceptionnelle.

Polypore marginé
Le Polypore marginé (Fomitopsis pinicola) se rencontre typiquement sur les troncs de conifères. Il participe à la décomposition du bois mort en se nourrissant de la cellulose. (photo Bernard Rivoire)

Les Polypores racontent l’Histoire de France

Peu avant lui se sont intéressés d’aussi près à ce groupe de champignons : « Ils ne sont pas faciles à étudier, car très polymorphes, et en plus, ils ne se mangent pas ! » Tant mieux d’ailleurs s’ils ne sont pas comestibles, car en plus de la disparition des vieux arbres, la pression de cueillette les aurait déjà décimés. « Beaucoup devraient figurer sur la liste rouge des espèces menacées. Nous ne laissons pas assez vieillir nos forêts », regrette Bernard Rivoire. La rareté contemporaine des Polypores raconte l’histoire de notre relation au milieu forestier. « Au moment de l’invasion de la Gaule par les Romains, on sait que 75 % du territoire était couvert de forêts, contre seulement 25 % à la fin du XIIe siècle, à l’époque des vastes déboisements pour l’agriculture », explique-t-il. Le morcellement récent de nos espaces boisés fatigue aussi les Polypores : leurs spores doivent se disperser plus loin pour espérer fructifier ailleurs, selon les caprices du vent…

Polypore apilée
Ceriporia mellita. Ce Polypore est dit apiléé : sa chair se développe à même le bois. (photo Bernard Rivoire)

Rigueur et émotion

Dans cette Nature soumise à rude épreuve, Bernard Rivoire est allé explorer des habitats rarement foulés, spécialement les broussailles humides et les ripisylves. Là, il a déniché une dizaine d’espèces nouvelles, seul ou en association avec d’autres scientifiques, telles que Ceriporia alba ou Antrodiella pirumspora. Pour les étudier, il s’est appuyé sur les protocoles d’analyse mis en place par Alix David et Jacques Boidin, deux mycologues lyonnais. Où la rigueur n’exclut pas l’émotion : « Découvrir une nouvelle espèce est à chaque fois un grand coup d’adrénaline. Mais en mycologie comme dans toutes les disciplines du vivant, il ne faut pas se contenter de traquer les espèces rares. Les espèces banales sont aussi à étudier de près, car leur évolution traduit l’état de notre planète. »

Polypore brûlé
Le Polypore brûlé (Bjerkandera adusta) est annuel, c’est-à-dire que ses fructifications ne survivent pas à la fin de l’automne. Ici sur la souche d’un Bouleau. (Photo GEASTER)

À savoir

  • Le groupe des Polypores est structuré en pas moins de 122 genres européens aujourd’hui, dont la moitié sont aujourd’hui monospécifiques. La biologie moléculaire est passée par là. « Poussée à l’extrême, l’analyse de l’ADN bouleverse et fragmente notre connaissance du vivant », regrette à ce sujet Bernard Rivoire.
  • À l’inverse, le seul genre Postia est représenté par pas moins de 38 espèces en Europe, distinguées par une chair molle et succulente, ainsi que des pores étroits.
  • Si certains genres comme Polyporus stricto sensu restent assez faciles à étudier, d’autres nécessitent une approche particulièrement minutieuse, faisant appel à la microscopie. C’est le cas des espèces présentant un basidiome apiléé, c’est-à-dire des Polypores sans pied : leur chair est directement installée sur le bois, et parfois même réduite à la simple couche des tubes.
  • Tous les Polypores ne sont pas dotés de pores. Du moins ces pores ne sont-ils pas seulement arrondis ou polygonaux. Dans certains genres, comme Lenzites, ces pores sont tellement étirés qu’ils ressemblent à des lames, régulières ou plus labyrinthiques, ou bien à des sortes de « dents » (cas de certains Trichaptum ou de Daedaleopsis, mais pas tous !).

Bernard Rivoire
Bernard Rivoire a rassemblé quarante années de travail dans son livre Polypores de France et d’Europe (Mycopolydev, 2020).