Bien sûr, il y a les champignons qui tapissent le sol de la mystérieuse forêt aux abords du village de Poudlard, dans la franchise Harry Potter. Pourtant, dès les années 1950, le cinéma a mis ses mycètes à sa sauce, dans des films aux styles très variés, de la pochade rurale au drame psychologique. Petite revue de détail.
Les premières traces de champignons dans le cinéma français remontent à 1936. Et elles sont funestes. Cette année-là, Sacha Guitry tourne Le Roman d’un Tricheur. Soit l’histoire d’un voleur professionnel (Sacha Guitry lui-même), qui explique son destin amoral en racontant qu’il est l’unique survivant d’une famille mortellement empoisonnée par un plat de champignons… Il doit son salut à une punition : privé de dîner pour cause de vol dans le tiroir-caisse : « Puisque tu as volé, tu seras privé de champignons », se souvient-il de la voix de son père. « Ces végétaux mortels, c’était le sourd-muet qui les avait cueillis. Et ce soir-là, il y avait onze cadavres à la maison », entend-on en voix off. En 1936, la science n’avait pas encore dissocié les champignons du règne végétal, ni pointé qu’on ne meurt pas d’un plat de champignons toxiques le soir-même où on les ingère…
Tout le monde connaît le film Ni Vu… Ni Connu (Yves Robert, 1958), où le braconnier Blaireau (Louis de Funès) écoule ses truites en fraude sur le marché du village, au nez à la moustache de Parju, le garde-champêtre (Moustache).
« Voyez mes girolles, mesdames, voyez mes girolles ! Les champipis, les champipis, les champignons ! »
Il feint de vendre ces girolles à plusieurs clientes avisées : probablement Cantharellus cibarius, d’après leur marge flexueuse, sur l’image furtive en N&B où De Funès plonge ses mains dans un grand panier placé à ses pieds pour glisser en douce quelques dodus poissons.
Quelques années plus tard, dans Un Idiot à Paris (Serge Korber, 1967, d’après le roman de René Fallet), le naïf Goubi (Jean Lefebvre), paysan du Bourbonnais égaré dans la capitale, séduit malgré lui La Fleur (Dany Carel), femme de petite vertu. Dans un restaurant attablé face au maire, M. Dessertine (Bernard Blier), la discussion va bon train. Le serveur propose à Goubi d’acheter ses champignons : « Les cèpes vont commencer, et nous, les cèpes, on les paie un maximum ! » Dessertine nuance alors : « Certaines cueillettes tournent à l’homicide. Peut-on te poser une question sans te froisser, Goubi ? T’y connais-tu en champignons ? » Gourbi se lève, tout fiérot : « J’suis le champion des champignons de l’Allier. C’est pas moi qui confondrais l’Inocybe rose (sic) avec le Cèpe, ni le Tricholome de la Saint-Georges avec l’Amanite Tue-Mouches. J’ramasserai plein des paniers, et y’aura pas un mort. »
Vers la fin du film, lorsque Gourbi réussit à convaincre La Fleur de venir vivre avec lui à la campagne, la voilà qui se projette, des étoiles plein les yeux : « Demain je vais aux champignons avec toi. Le soir, je prends le train pour Jaligny. Je verrai le marchand de biens. Et si tes Agroulets me plaisent, je les achète. Allez, à la santé des patrons ! »
Claude Chabrol a aussi utilisé les champignons dans l’un de ses films majeurs : Le Boucher (1970), tourné dans le village de Trémolat, dans le Périgord. Lors d’une séquence champêtre et ensoleillée, Popaul (Jean Yanne) et Hélène (Stéphane Audran) se livrent à une cueillette en pleine forêt, accompagnés par les enfants de l’école du village. Popaul a rempli son bob de ce qui semble être des girolles (Cantharellus pallens ?). Au dénouement du film, dans la fameuse scène de la salle de classe, on distingue sur le mur, dans la pénombre, un poster figurant des espèces de champignons.
Une scène sylvestre similaire se déroule dans le film Alexandre le bienheureux (1968, Yves Robert). En pleine reconstruction de sa vie sentimentale, Alexandre Gartempe (Philippe Noiret) emmène Agathe Bordeaux (Marlène Jobert) dans les bois et la courtise avec… un panier de girolles.
« Cham-pi-gnons »
Les champignons font également dans l’espionnage. Dans Icpress File (Sidney J. Furie, 1965), la scène se passe dans une épicerie moderne du cœur de Londres. Colonel Ross (Guy Doleman) extrait du panier de Harry Palmer (Michael Caine) une boîte de champignons de Paris : « Champignons (en français dans le texte)… Vous payez dix pennies de plus pour une marque française. Si vous voulez des champignons, vous en aurez des moins chers sur l’étagère à côté… » Et Palmer de lui répondre : « Ce n’est pas seulement pour la marque. Ceux-ci ont aussi un meilleur goût. »
En 1966, le réalisateur suédois Ingmar Bergman tourne l’un de ses films les plus expérimentaux : Persona. Où Elizabeth (Liv Ullmann), une célèbre actrice de théâtre, perd subitement l’usage de la parole en pleine représentation. Soignée dans une clinique, elle est ensuite envoyée au bord de la mer avec une infirmière, Alma (Bibi Andersson), qui tente de lui réapprendre à parler. Elle essaie de lui faire épeler certains mots en lien avec ce qu’elle voit et ce qu’elle touche, notamment «cham-pi-gnons », alors que, de retour de cueillette, elle est en train de nettoyer des bolets, dans une scène qui suggère l’attirance physique des deux protagonistes.
Le cinéma fantastique s’est aussi largement approprié les champignons. Ils forment une forêt dans Voyage au centre de la terre (Henry Levin, 1959), d’après le roman de Jules Verne. Au fil de leurs aventures, les quatre héros (James Mason, Pat Boone, Arlene Dahl et Diane Baker) atteignent une forêt de coulemelles géantes fossilisées. « Ils doivent avoir des centaines d’années mais c’est une sorte que l’on peut manger, ceux-ci sont délicieux ! », lance Alec McEwan (Pat Boone) dans ce décor de carton-pâte au dessin assez fidèle. Mais alors qu’il tente d’en croquer un, il manque d’y laisser ses dents : « C’est plus dur que le cuir ! Ça fera de nouvelles semelles pour nos chaussures ! » Les pieds de ces macrolépiotes serviront à la confection d’un radeau pour permettre aux explorateurs de poursuivre leur expédition en suivant les courants d’un océan souterrain : belle illustration du caractère coriace du stipe des Macrolepiota procera ! Dans le remake de 2008 tourné par Erik Brevig, les champignons ne sont plus des coulemelles et perdent en réalisme.