Arbres et champignons : un mariage de raison

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Fôret champimag © Richard Gonzalez
La forêt semble immobile. Et pourtant, sous les pas du promeneur, s’agite un monde secret…

On estime à environ 450 millions d’années la relation intime qu’ont nouée entre eux les arbres et les champignons sur Terre. Une relation qui profite, la plupart du temps, aux deux organismes. Par quel philtre magique réussissent-ils à faire durer ce mariage ?

Tout se passe à l’abri des regards, là, sous nos pieds. Parce qu’en fait, les champignons mènent une vie largement souterraine. Leur mycélium, constitué d’un enchevêtrement de filaments très fins, tisse avec le système racinaire des arbres une association de bienfaiteurs : les mycorhizes. Sous le manteau de l’humus, arbres et champignons se passent entre eux des éléments essentiels à leur croissance et à leur existence même. On estime qu’à un mètre de racines correspondent environ mille mètres de filaments mycéliens. Un mètre cube de terre pourrait contenir jusqu’à 10 000 kilomètres de mycélium…

Connexion à double sens

La Nature est bien faite. Par l’étendue de son mycélium, grâce à ses enzymes propres aussi, le champignon sait puiser l’eau, le phosphore et l’azote du sol pour les transmettre à l’arbre. Souvent grâce aux bactéries du sol aussi : les mycorhizes ont signé avec elles une sorte de contrat de sous-traitance pour dissoudre les minéraux. Objectif : rendre ce phosphore plus accessible aux plantes. Échange de bons procédés : grâce à la photosynthèse, l’arbre procure au champignon des composés carbonés directement assimilables, ceux-là même qu’il ne peut synthétiser faute de chlorophylle. On estime à 90 % la part des espèces de végétaux supérieurs terrestres concernés par ce mode de connexion.
Mutualisme, symbiose : cette relation profite aux deux organismes, l’arbre et le champignon. Une relation qui durera aussi longtemps que les conditions environnementales le permettent. À l’Institut de biologie intégrative de la cellule, on a pu mettre en évidence que l’arbre donne un coup d’arrêt à cette symbiose si le champignon fournit moins de sels minéraux dans le temps.

Muscaria champimag © Richard Gonzalez
La plupart des Amanites entretiennent une relation mycorhizique avec les arbres. L’Amanite tue-mouches (Amanita muscaria) peut s’associer avec différentes essences (photo GEASTER)

Transmetteurs et récepteurs

Ce réseau souterrain fonctionne non seulement en mode peer-to-peer mais aussi en collectif. Où le champignon joue un rôle de hub solidaire : grâce à cette relation dite mycorhizienne, les arbres réussissent aussi à communiquer entre eux. Les arbres adultes sont ainsi capables de fournir des sucres aux plus jeunes pour activer leur croissance. De la même manière, des arbres en fin de vie lèguent leurs ressources restantes au réseau pour les autres.
C’est aussi par les mycorhizes que les arbres s’informent entre eux des dangers qui les menacent pour ainsi préparer leur défense : invasion d’insectes ravageurs, ou début d’incendie de forêt par exemple.
Enfin, le champignon peut également jouer lui-même le rôle d’émetteur. Lorsqu’il détecte le premier un manque d’eau au bout de ses hyphes, il envoie un signal chimique à la plante pour provoquer la fermeture des pores (stomates) de ses feuilles, afin de réduire l’évapotranspiration et ralentir son dessèchement.

Neottia nidus-avis © Richard Gonzalez
Privée de chlorophylle, la Néottie nid-d’oiseau (Neottia nidus-avis) doit puiser les matières carbonées nécessaires à sa croissance dans le réseau mycorhizien, aux dépens des champignons (photo GEASTER)

Comme tout bon système qui se respecte, le Wood Wide Web a aussi ses pirates ! Certaines espèces d’orchidées par exemple n’hésitent pas à détourner le réseau pour leur profit, voire à le saboter. C’est le cas de la Néottie Nid-d’Oiseau (Neottia nidus-avis), une orchidée dépourvue de chlorophylle, donc incapable de synthétiser les glucides nécessaires à son énergie. Elle s’efforce donc de faire copain-copine avec un champignon vivant déjà en symbiose avec un arbre, puis intercepte la nourriture qui circule entre les deux organismes. Aux dépens du champignon, puisque lui aussi sans chlorophylle. Le comportement entre les plantes et les champignons passionne les chercheurs. On sait que certaines plantes vont jusqu’à diffuser dans le réseau des substances toxiques pour éliminer leurs rivaux. La riposte existe : des champignons parasites s’immiscent dans les échanges pour propager des maladies fatales. La loi de la jungle !

Super-organisme

Si le Wood Wide Web est maintenant bien identifié, la connaissance progressive de son fonctionnement soulève des questions nouvelles. Pourquoi par exemple les végétaux ont-ils adopté dans leur très grande majorité un comportement aussi altruiste ? Les liens inextricables de ce réseau jettent aussi une lumière nuancée sur la définition des espèces et la compréhension d’une forêt : ne s’agit-il pas d’un super organisme plutôt qu’une somme d’êtres vivants indépendants ?

Sources

Pour aller plus loin :
La symbiose mycorhizienne : une association entre les plantes et les champignons – Jean Garbaye (Editions Quae)
Les mycorhizes : l’essor de la nouvelle révolution verte – Jacques-André Fortin, Christian Planchette et Yves Piché (Editions Quae)