Champignons : repartir sur de bonnes bases

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Et si on profitait de la saison creuse pour… creuser le sujet de la mycologie ? Avant de repartir fouler les bois et les champs, la lecture de quelques ouvrages permet de consolider ses connaissances sur le règne fongique. C’est le cas avec le livre Champignons (Les Carnets du Scarabée, Tana éditions), signé de Didier Borgarino et Nastasia Camberoque, qui met en perspective et de manière vivante et accessible les principaux apports de la mycologie.

Comment rendre la science mycologique attractive pour le plus grand nombre ? Le livre Champignons de Nastasia Camberoque et Didier Borgarino, paru fin 2022, relève le défi. Les informations qu’il contient répondent aux questions que l’on se pose souvent lorsqu’on débute : quand chercher les champignons ? Et où ? Que doit-on observer pour réussir à déterminer une espèce? Quelles précautions avant de consommer ? Comment progresser dans la connaissance ? À la fois pratique et rigoureusement scientifique, Champignons propose notamment une clé d’identification des principaux genres… Et précise bien ce qu’est un genre, chacun des termes du jargon mycologique étant expliqué. Un ouvrage agréable à lire et à consulter souvent, jamais ronflant, au format adapté à une prise en mains rapide y compris sur le terrain. Ses deux auteurs ont bien voulu répondre à nos questions.

Comment êtes-vous arrivés à la mycologie ?

Nastasia : Je suis fascinée par les champignons depuis que je suis enfant ! A l’origine, ce sont mes parents qui m’ont initiée à la mycologie. Nous allions très souvent ramasser des comestibles en forêt, mais nous ne négligions pas non plus les autres espèces. Il y avait des livres de mycologie à la maison que j’adorais feuilleter. Mais ce n’est que plus tard, en septembre 2018, que j’ai commencé à m’y intéresser plus sérieusement en rejoignant l’association mycologique d’Aix-en-Provence, suite à la découverte d’une espèce que je ne connaissais pas !

Didier : Cela s’est fait dans le prolongement de mes études de pharmacie, ce qui est assez logique. Mais un peu par hasard quand même : je me suis inscrit à l’attestation de mycologie car il n’y avait plus de place dans la formation d’homéopathie que j’envisageais de suivre cette année-là…

Un ouvrage clair pour trouver les bonnes réponses aux questions que l’on se pose sur les champignons. (©GEASTER)

Et l’idée de ce livre vous est venue comment ?

Didier : J’ai été contacté par le directeur de collection pour rédiger le volume sur les champignons de la collection des carnets du scarabée. Il se trouve qu’avec Nastasia, nous avions précisément entrepris un cycle de formation pour les débutants dans notre association, et que la matière du livre était déjà plus ou moins mise en forme.

Quels objectifs avez-vous définis pour ce livre ? Aviez-vous constaté un déficit d’ouvrages accessibles ?

Didier : Le but de cet ouvrage est de permettre à quiconque, même sans formation scientifique ou naturaliste, d’accéder au monde des champignons. De savoir comment s’y prendre pour bien démarrer. Nous avons voulu que ce livre soit la première marche, l’accès aux autres livres qui sont souvent d’un abord plus ardu.
Ce qui nous a fait très plaisir, c’est lorsqu’on nous a dit en retour et à plusieurs reprises : « Vous avez réalisé le chaînon manquant ».

Nastasia : Je ne pense pas que les livres soient trop compliqués, ils ont simplement leur public. L’objectif était donc de créer un ouvrage qui permettrait, en quelque sorte, de « décrypter » les ouvrages de spécialistes.
Quand il s’agit d’identifier une espèce, nous voyons encore trop souvent les gens ouvrir un atlas sans la méthodologie qui va avec. Nous savons très bien que cela peut entraîner des confusions. Nous avons donc essayé d’établir une méthode logique et progressive pour éviter ce genre d’erreurs.

L’ouvrage propose une clé d’identification simple et précise des principaux genres. (©GEASTER)

Avez-vous le sentiment que de plus en plus de personnes ont cette motivation ? Sont-ils prêts à abandonner leurs vieilles idées reçues ? (l’influence de la lune par exemple)

Didier : Oui, après une longue période de relative indifférence, je constate un intérêt croissant pour les différentes sciences de la nature. Cette collection espère aider les personnes voulant ainsi progresser par une aide pratique, l’acquisition d’une méthode, qui leur permette de mieux connaître la nature, et de mieux la protéger.

Nastasia : Il me semble que les gens sont de plus en plus désireux de se former sur des sujets qui les intéressent vraiment et qui ne sont pas, ou peu traités dans les études ou parcours dits classiques. En réponse à cette demande, on voit d’ailleurs de plus en plus de formations non diplômantes apparaître sur le marché. Quant aux idées reçues… Elles ont parfois la vie dure. Mais je crois que la relève est plus critique et qu’elle est prête à remettre cela en question si tant est qu’on leur démontre scientifiquement.

Nastasia, tu es très active sur les réseaux. Que t’enseignent-ils, justement, à propos des gens qui s’intéressent aux champignons ? Quelles erreurs les vois-tu commettre?

Je suis surtout présente sur le réseau social Instagram. C’est vraiment très intéressant pour moi d’un point de vue ethnomycologique.
Depuis quelques années, on observe une popularité grandissante des champignons et c’est un phénomène mondial.
Il est donc intéressant pour moi d’observer la manière dont les gens communiquent à propos des champignons.
J’essaie de recenser les erreurs de détermination, il y en a encore malheureusement beaucoup.
Certaines personnes utilisent des applications de reconnaissance sur smartphone douteuses et posent parfois des noms aberrants.
C’est aussi très instructif au niveau des habitudes de cueillettes. On se rend compte que les espèces ramassées varient énormément en fonction des régions, pays, etc.
Je tombe aussi parfois sur des usages insoupçonnés. Récemment j’ai découvert qu’en Pologne, ils utilisent les œufs de Phallus impudicus pour fabriquer des remèdes par exemple… Enfin, cela me permet d’échanger très simplement avec des mycologues du monde entier.
Instagram ne remplace pas les études de terrain mais permet une approche moderne de la discipline.

Tout le B.A. BA de la cueillette. (©GEASTER)


En étant aussi formateurs, trouvez-vous que le public s’intéresse assez à la mycologie au-delà du strict usage culinaire ? Qu’avez-vous envie de dire à ces personnes-là ?

Didier : C’est vrai qu’il est parfois difficile de passer de la gastronomie à la science. Les motivations de départ sont souvent plutôt culinaires. A nous, par nos activités, nos livres, nos conseils de donner le goût de l’observation et de la beauté des champignons, de leur importance dans les écosystèmes. De montrer que le plaisir des champignons est aussi dans leur étude.
Il reste beaucoup à faire pour que les champignons sortent de leur image réductrice.

Nastasia : Il est parfois difficile d’accrocher le public en dehors de l’aspect purement mycophage. La recherche des champignons comestibles n’est cependant pas à négliger, car c’est souvent ce qui pousse les gens à venir nous voir à l’association. Mais comme le dit Didier, c’est à nous de nous diversifier. C’est pourquoi, j’essaie de communiquer de plus en plus sur la thématique de l’ethnomycologie. En plus d’être ma passion, cela permet de montrer qu’il existe bien d’autres usages au delà du simple usage culinaire !

En quoi consiste l’ethnomycologie et quels sont ses apports récents ?

Nastasia : L’ethnomycologie étudie le rapport entre les hommes et les champignons, qu’il concerne le domaine alimentaire, rituel, médicinal, cosmétique, symbolique, vestimentaire, artistique, etc.
Les hommes ont lié des relations avec les champignons depuis plusieurs millénaires, et cela n’est pas près de s’arrêter.
C’est une science assez récente, on considère que le père fondateur est Robert Gordon Wasson, suivi de près par Roger Heim dans les années 1950. Mais elle est de plus en plus actuelle ! Il suffit d’observer la place grandissante que prend le marché des champignons médicinaux, estimé à 30 milliards de dollars par an, ou encore la recherche médicale au sujet des champignons hallucinogènes et de leur potentiel thérapeutique, etc.
Cette année j’ai vu qu’un festival de cinéma dédié au monde fongique allait avoir lieu… Toutes ces thématiques peuvent être traitées par l’ethnomycologie. Une chose est sûre, les champignons sont loin d’avoir fini de faire parler d’eux !

Didier Borgarino et Nastasia Camberoque, les deux auteurs. (©DR)