Dans son récent livre Champignons toxiques (éditions Delachaux & Niestlé), Philippe Rioux fait le point sur les espèces qui présentent un danger pour la santé humaine. Il rappelle aussi que la connaissance toxicologique évolue et doit nous amener à redoubler de prudence lors de la consommation des champignons. Même lorsque ceux-ci sont encore considérés comme comestibles.
Philippe Rioux, l’auteur de Champignons Toxiques, le reconnaît : « Il n’est pas facile de parler de la toxicologie des champignons, car avec les termes médicaux, cela devient vite indigeste. » C’est justement ce défi que le vice-président de l’association mycologique de Plomeur Morbihan a voulu relever : rendre le sujet plus simple et attractif, sans escamoter l’information, en l’illustrant de manière précise, pour que chacun puisse saisir les enjeux et agir en toute responsabilité. Car en termes d’empoisonnement, les faits sont là : en 2021, les Centres antipoison ont rapporté 1321 cas d’intoxications dues aux champignons, dont 41 cas graves et, parmi eux, 4 décès. À titre de comparaison, en 2016, année du début des comptages communiqués par l’Anses, 11 cas graves avaient été recensés, sans décès.
Coupables confusions
Les empoisonnements les plus fréquents en 2021 sont générés, rapporte encore l’Anses, par les confusions croissantes entre l’Agaric jaunissant (Agaricus xanthodermus) et le Rosé-des-Prés (Agaricus campestris), ainsi qu’entre la Lépiote des jardins (Chlorophyllum brunneum) et la fameuse Coulemelle (Macrolepiota procera). C’est ce même mélange des genres que Philippe Rioux, a constaté durant sa carrière de pharmacien. « Des clients m’ont souvent aussi rapporté des paniers d’Amanites panthères (Amanita pantherina) en pensant avoir affaire à des Golmottes (Amanita rubescens), ou alors des Léoties visqueuses (Leotia lubrica) prises pour des Trompettes chanterelles (Craterellus sp.). » Encouragé par les sollicitations de ses clients, il a choisi de « creuser » ses connaissances, tout en s’armant de « modestie » face à la complexité du sujet. Il a d’abord publié un article sur le Net, sous forme de fiches, décrivant les espèces toxiques qu’on lui soumettait le plus fréquemment. « Le projet a pris naturellement de l’ampleur. On m’a invité à animer des expositions et des conférences sur cette thématique.«
Empoisonnements célèbres
Somme actualisée de cinq années de travaux compilatoires, le livre Champignons toxiques présente l’intérêt de décrire et de classer quelque 200 vénéneux selon le type d’empoisonnement (syndrome) qu’ils provoquent. Car en effet, l’Inocybe à lames terreuses (Inocybe geophylla) ne déclenche pas les mêmes symptômes que la Gyromitre (Gyromitra esculenta) ou l’Amanite phalloïde (Amanita phalloides). En regard de ces toxiques plus ou moins graves (une vingtaine, quand même, sont mortelles), des pages décrivent les espèces comestibles avec lesquelles on peut les confondre. Champignons toxiques s’attarde également sur l’histoire des empoisonnements célèbres par les champignons au fil des siècles. Une idée intéressante, exploitée avec des gravures d’époque, qui rappelle que de tous temps, les champignons ont inspiré aux hommes les pires maléfices et entraîné des morts cruelles.
C’est à une leçon de prudence et de retenue que le livre convie tous les cueilleurs. Il insiste en effet sur l’évolution rapide des connaissances toxicologiques, en pointant par exemple le cas du Tricholome équestre (Tricholoma equestre), coupable de plusieurs accidents mortels depuis la fin des années 1990 en France. Hier salué comme un bon comestible et consommé sans incident connu, le fameux « Bidaou », comme on le surnomme encore affectueusement dans le sud-ouest, est responsable de cas de rhabdomyolyse, une altération rapide des tissus musculaires (et donc des tissus du coeur). Plus surprenant, l’ouvrage fait état de cas similaires rapportés suite à l’ingestion de bolets du genre Leccinum (le groupe des bolets « rudes »), dans l’est de l’Europe. D’autres espèces, encore considérées comme comestibles, pourraient bientôt rallonger cette liste…
Le Cèpe aussi
Autre mise en garde : la toxicité acquise des champignons comestibles. « Parce qu’ils concentrent les polluants, les champignons doivent être impérativement cueillis dans les endroits propres, non dégradés par les pesticides ou les rejets industriels. Il ne faut prendre que les exemplaires parfaitement sains, sans trace de pourrissement ni parasite. Et prendre la précaution de tous les cuire« , martèle Philippe Rioux. Qui rappelle in fine que tout le monde n’est pas égal devant une même poêlée : les espèces les plus couramment consommées ne sont pas toutes « gérées » de la même manière par nos enzymes. La haute teneur en mannitol (un sucre-alcool) du Cèpe de Bordeaux (Boletus edulis), par exemple, rend l’espèce peu digeste pour certaines personnes. Tout comme la présence de chitine, substance qui compose la carapace des insectes et des crustacés, ou de tréhalose (sucre complexe) invite instamment les mycophages à ne pas dépasser la zone prescrite par les toxicologues : 150 à 200 grammes de champignons frais par semaine.