L’infatigable Guillaume Eyssartier a traduit et adapté l’imposant ouvrage Les Champignons d’Europe tempérée, en deux volumes, paru chez Biotope Éditions. Le mycologue professionnel, auteur et co-auteur d’une cinquantaine de livres de vulgarisation, nous dévoile les dessous de ce projet… Et d’autres à venir.
Plus de 1700 pages, 7000 photos, 2800 espèces illustrées et 1500 autres abordées : dans le genre, on n’a jamais été aussi loin. Les Champignons d’Europe tempérée (Biotope Editions, 2020) fait déjà date dans l’histoire de la littérature mycologique. Conçu et réalisé par Thomas LaessØe et Jens. H. Petersen, deux scientifiques danois, il s’impose d’emblée par une qualité iconographique à couper le souffle. Il propose également d’aborder les genres et sous-genres par un système totalement innovant de roues illustrées. On imagine la somme de travail qu’un tel ouvrage représente, un travail rendu d’autant plus complexe par l’évolution des connaissances dans le domaine des champignons, sous l’impulsion des études moléculaires. Docteur ès Sciences du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, Guillaume Eyssartier en est le traducteur-adaptateur.
Comment est née l’initiative de traduire Les Champignons d’Europe tempérée ?
Je connais les auteurs, la mycologie européenne étant un tout petit monde… Quand j’ai eu l’ouvrage original entre les mains, j’ai pensé que c’était exactement le genre de bouquin que j’aurais aimé faire. J’en ai parlé à Jean-Yves Kernel, le directeur de l’édition et de la communication de Biotope. Il s’est montré tout aussi enthousiaste que moi en voyant le livre et s’est empressé d’en acheter les droits.
Tu t’es attelé à une tâche de fou pour traduire ces 1700 pages…
J’ai démarré la traduction de la version anglaise, sortie pratiquement au même moment que sa version danoise, début novembre 2019, en m’imposant un rythme d’une vingtaine de pages par jour. J’ai terminé fin janvier 2020. Evidemment, le calendrier a ensuite été bousculé avec l’arrivée du Covid…
Et tu n’as pas fait que traduire. En quoi a consisté cette « adaptation » ?
J’ai en effet beaucoup échangé avec les auteurs pour que l’ouvrage corresponde aux attentes du public français. Certaines espèces n’étaient pas citées, car en dehors du champ d’investigation des deux mycologues danois. J’ai donc rajouté près d’une centaine d’espèces dans les textes, comme Hygrophorus marzuolus, absent de l’édition originale. J’ai également remplacé certaines photos, qui ne me satisfaisaient pas. C’était un autre des challenges : proposer une bonne homogénéité iconographique sur la totalité des 1700 pages. Nous avons donc fait appel à pas mal de photographes français, qui produisent d’excellents clichés.
L’une des grandes innovations de cet ouvrage, ce sont ces roues d’identification.
Absolument. Ca n’a jamais été proposé auparavant. Ces roues permettent de diriger le lecteur plus facilement vers le genre à partir de caractères macroscopiques puis microscopiques. C’est un système plus rapide et plus ludique que les clés traditionnelles où l’amateur peut vite décrocher.
L’autre gros « plus » de cet ouvrage, c’est qu’il s’impose comme une véritable encyclopédie de la mycologie. On y aborde les lichens et des groupes d’espèces comme les Laboulbeniae, pratiquement jamais mentionnés dans les ouvrages grand public. Le lecteur acquiert ainsi une vision globale des champignons et peut s’initier à certains groupes dont il n’avait pas connaissance.
Où en est-on aujourd’hui dans cette connaissance ?
Les champignons constituent le règne le plus méconnu parmi les êtres vivants. Chaque année, les scientifiques découvrent plus de 2000 nouvelles espèces dans le monde et ça augmente encore. Rien qu’en Europe, continent le plus étudié, on continue de décrire 500 espèces nouvelles par an. On n’en est qu’aux balbutiements de la mycologie. Les scientifiques estiment qu’à ce rythme, il faudra 4000 ans pour tout connaître. On pourrait arriver à un total de plus de 5 millions d’espèces. Moi-même, j’ai encore découvert trois nouvelles espèces en une année, à moins de 5 kilomètres de chez moi ! Et j’en ai d’autres qui attendent encore dans les cartons (rires).
Cela veut dire qu’il y aura de nouvelles éditions du Guide des Champignons d’Europe (Belin) que tu as publié avec Pierre Roux, et qui en est déjà à sa quatrième version ?
C’est fort possible, mais ce n’est pas encore dans les tuyaux. Je vais d’abord poursuivre ma collaboration avec les éditions Biotope. Nous préparons actuellement un nouvel ouvrage dans la série « À la découverte de… », consacré aux champignons de Bourgogne-Franche-Comté, à paraître courant 2021. Ce concept se déclinera ensuite sur d’autres régions françaises. Chaque livre s’articulera autour des champignons comestibles recherchés par les mycophages de la région et les espèces patrimoniales ou en danger, en lien avec les problématiques écologiques de la zone étudiée.
Propos recueillis par R. Gonzalez