Jean-Baptiste Cokelaer, pharmacien mycologue, brûle de la passion de transmettre. Il a d’abord invité ses clients à le suivre lors de ses balades en forêt. Suite logique : il publie cet automne un beau livre dans lequel il rend hommage à ses plantes et ses champignons préférés. Il offre aussi ses pages à quatre chefs cuisiniers, comme lui amoureux des saveurs de la forêt et du partage. Des Cueillettes et des Hommes, aux éditions La Martinière, vient de sortir.
Comment t’est venue l’idée de ce livre ?
Ce livre est la suite logique de mes expériences passées. Mon ambition, c’est de créer du lien, et le champignon est un formidable vecteur pour ça. Je m’en suis rendu compte à la pharmacie, et davantage encore quand j’ai commencé à emmener des personnes dans les bois pour leur apprendre à les reconnaître et les cueillir : il y a un engouement très fort pour les champignons, parce qu’ils incarnent à la fois les mystères et les trésors de la forêt. Parce qu’ils symbolisent aussi le retour à la Nature. Faire ce livre était donc très important pour moi : il fallait passer au papier pour continuer à partager cette passion plus loin, plus fort. Et ce livre est avant tout une aventure collective !
En effet, ce livre fait la part belle à quatre chefs cuisiniers. Comment les as-tu choisis ?
J’ai en effet voulu rendre hommage à mes terres natales, à mes forêts de cœur et aux hommes qui magnifient les saveurs. Chacun des quatre chefs représente un coin du nord de la France. Florent Ladeyn pour les Flandres, Damien Laforce pour la région de Cambrai, Pascal Lefebvre pour la baie de Somme et Jean-Marc Notelet pour l’Oise. Ils évoquent leurs relations avec les plantes et les champignons, prodiguent des conseils et proposent des recettes qui fleurent bon nos terroirs. C’est Florent, à qui j’avais proposé une sortie en forêt avec sa brigade, qui m’a fait rencontrer les trois autres.
À quel moment est née ta passion pour les champignons ?
Progressivement, à partir de l’enfance. Petit-fils d’agriculteur et ancien scout, je me suis imprégné tôt de nature. Le vrai déclic est venu au contact de mon professeur de sciences de la vie et de la terre. Je me suis d’abord passionné pour la botanique, en réalisant des herbiers à partir de l’adolescence. Les champignons sont surtout arrivés lors de mes études de pharmacie. Mais à ce moment-là, il s’agissait de les étudier uniquement, pas de les cueillir. Mes rencontres avec des mycologues réputés et aux grandes qualités humaines ont amplifié cet intérêt, notamment Régis Courtecuisse.
Et cette envie de transmission et de partage ?
J’ai commencé à organiser ces journées mycologiques il y a une douzaine d’années. Au départ, j’emmenais des personnes rencontrées à la pharmacie. De cinq apprentis cueilleurs au début, nous sommes passés à 200 l’année dernière, avec quatre guides. Au total, nous avons accompagné plus de 3000 personnes dans nos belles forêts des Hauts-de-France. Je prends le temps de leur expliquer, avec des identifications sous témoin. Je leur rappelle que les champignons sont des condiments et doivent être consommés à petites doses. Ce n’est pas un aliment essentiel, ni nécessaire. J’aime aussi raconter des anecdotes sur les champignons, en prenant soin de ne rapporter que des choses vérifiées. Ces sorties offrent aussi l’occasion de réapprendre la forêt : quand on part cueillir des champignons, on s’émerveille devant une salamandre, un insecte, en croisant un chevreuil… Il y a à la fois l’apprentissage et l’émotionnel. Notre rythme de vie s’adapte aux nouvelles odeurs, aux lumières, à cette mosaïque d’humus…
Que ressens-tu auprès de ton public dans leur motivation ?
Le besoin de se connecter à la Nature n’a jamais été aussi fort. Les personnes sont curieuses, posent beaucoup de questions, marquent une envie vraie de connaître et d’apprendre à respecter les êtres vivants. Je reste persuadé que c’est au contact des autres que l’on nourrit sa passion et que l’on peut arriver à faire de belles choses. Ma rencontre avec le botaniste Jean-Marie Pelt a été déterminante, tout comme mon immersion, difficile, parmi les Indiens de la région des Grands-Lacs pour étudier leur usage d’une Echinacea, une plante immunostimulante.
Qu’est-ce qu’on éprouve quand on a son livre à soi qui sort enfin ?
L’envie de le sortir est à la hauteur de la joie éprouvée à le faire. La construction du projet a été passionnante, et maintenant je suis heureux de le partager. Sa réalisation a été une superbe aventure humaine, vécue avec un rédacteur, un photographe et quatre grands chefs. Une autre aventure humaine commence, avec le partage aux lecteurs. Et ce petit pincement au cœur : le livre est libre, il ne vous appartient plus.
Tu vas donner une suite à ce livre ? Est-ce qu’on peut imaginer que tu deviennes l’ambassadeur des cueilleurs de champignons en France ?
Déjà faire vivre ce livre aussi longtemps que possible. J’ai aussi très envie partager d’autres projets avec d’autres chefs. Leur donner un coup de pouce, collaborer avec eux sur les plantes et les champignons… Je ne suis pas pressé. On me propose déjà des émissions, des reportages, mais je n’ai pas spécialement envie de devenir le Nicolas Hulot des champignons (rires).
Au fait, ton champignon préféré ?
Ah ! Je crois qu’au niveau gustatif, c’est le Cèpe de Bordeaux. Et sinon, ma madeleine de Proust, c’est le Phallus impudique, au moins à l’état d’œuf (rires). Son observation en forêt est toujours un moment de détente, sa dégustation aussi, avec sa saveur surprenante de petit pois frais !
Sur Instagram : @jbcueilleursauvage
En librairie : Des Cueillettes et des Hommes
(Jean-Baptiste Cokelaer, Guillaume Czerw, Philippe Toinard – Éditions La Martinière, 360 pages – 39 €)